(What we do is secret)
exposition du 4 au 20 novembre 2022
à La Galerie du Crous, 75006 Paris
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Xandre Rodríguez
Zarbibooks
Pierre Hourquet
Temple
Dans un contexte de fortes tensions sociales et raciales, la publication du poème I am Joaquin consacrera dès sa parution en 1967 son auteur, l’ancien boxeur et activiste politique Rodolfo Corky Gonzales, en un symbole incontestable du mouvement Chicano. Conçue comme un outil révolutionnaire, l’œuvre établit un état des lieux des Chicanos aux États-Unis en même temps qu’elle plaide pour l’égalité de leurs droits et la reconnaissance de leur identité culturelle.
Dix ans après, le rêve d’une communauté rassemblée autour de ses propres valeurs prendra forme dans les pages du magazine Lowrider. Fondé par Sonny Madrid en 1977, le titre de la revue évoque une discipline très répandue et appréciée des Chicanos qui consiste à modifier le système de suspension d’une voiture vintage de sorte qu’elle puisse monter et descendre sur ses roues et rouler presque au ras du sol. Malgré le succès du magazine, un de ses plus précieux collaborateurs quitte la rédaction en 1981 pour en créer un autre, Teen Angels, qui ne tardera pas à être surnommé The Voice of the Varrio en relayant avec fierté la vie quotidienne de ses lecteurs. En fournissant la plupart des contenus – photographies, dédicaces, dessins, ou nécrologies – ce seront les lecteurs eux-mêmes qui feront de la revue un véritable réseau social avant l’heure, à tel point que la police s’en servira pour essayer de comprendre les codes employés par les gangs et déchiffrer leurs graffitis.
Intrigué par ces mystérieux hiéroglyphes qui se cachaient sous les ponts et tapissaient toutes sortes de surfaces, Gusmano Cesaretti réussira à rencontrer un de leurs auteurs, l’écrivain graffeur et artiste urbain Chicano Chaz Bojórquez, qui deviendra très vite son guide et ami. Cette relation privilégiée permettra au jeune photographe d’être en même temps observateur et participant, puisque d’un côté Cesaretti sera le premier à publier un livre sur le graffiti Chicano, et de l’autre il finira par signer ses propres œuvres au même titre que les écrivains graffeurs du quartier. Une acceptation dont d’autres photographes, tels que Janette Beckman ou Joseph Rodriguez, bénéficieront également afin de pouvoir dépeindre la complexité des gangs qui peuplent les quartiers de l’Est de Los Angeles.
Interpellée par un article paru dans LA Weekly autour du Hoyo MaraVilla – un des plus anciens gangs – Janette Beckman en deviendra un membre pendant l’été 1983 et retournera dans son Angleterre natale avec un portfolio dont 90% des protagonistes trouveront bientôt la mort ou finiront en prison. Une réalité accablante que Joseph Rodriguez se souciera de partager avec le grand public au travers de portraits intimes et témoignages de Cholos comme celui qui affirme que « rejoindre un gang c’est comme rencontrer une fille. Au premier coup d’œil elle n’est qu’un corps jusqu’à faire vraiment connaissance. Une fois intégré dans le groupe, tout repose sur la haine, la loyauté et le respect ».
En revanche, le refus d’intégrer un gang, lorsque l’on est issu d’un quartier à la réputation redoutable comme South Central, peut entraîner des risques. Tel fut le cas de Jonathan Velasquez, dont les pantalons jugés trop serrés ou les cheveux pas assez courts faisaient de lui et de ses copains skaters des cibles parfaites. Ignorant toute provocation, Velasquez ne se démarquera pas seulement par son apparence, mais aussi par son goût pour le punk-rock et le hardcore plutôt que pour les chansons populaires latino-américaines ou le hip-hop, musiques traditionnellement associées aux gangs qui l’entourent. Devenu une célébrité grâce au film Wassup Rockers basée en partie sur ses péripéties et celles de ses copains du ghetto, Velasquez finira par créer son propre groupe, reVolt.
En fin de compte, si une majorité de Latinos – chicanos compris – peuvent se permettre de verser une larme en écoutant Morrissey, comme William E. Jones le décrit dans son projet Is it really so strange ?, qui pourrait empêcher Jonathan Velasquez et sa bande de s’inspirer des Misfits ou des Ramones pour monter sur scène ? Autant le punk – influencé à Los Angeles par d’autres subcultures tels que le skateboard ou le surf – que le hardcore – sa version encore plus accélérée, directe et nihiliste – ont doté la ville californienne d’un vivier de groupes incontournables qui n’avaient rien à envier de ceux issus de New York ou Londres.
L’un d’entre eux, Black Flag, deviendra un groupe majeur grâce en partie à une identité visuelle – logo, flyers, pochettes – façonnée soigneusement par Raymond Pettibon tout au long de leur carrière. Mais ce sera The Germs, et surtout son leader Darby Crash, qui marqueront les esprits de plusieurs générations. Ayant fait la une du magazine culte Slash, qui deviendra le label punk Slash Records, lequel produira leur premier et unique album, Darby Crash jouera jusqu’au bout avec ses propres règles. La théâtralité de ses performances, proches de l’Actionnisme viennois – mouvement artistique où le corps remplaçait la toile et le sang servait de peinture – combinée à des pratiques masochistes sur scène où Darby mettait son corps à disposition du public ou en s’auto-mutilant, laisseront deviner le geste le plus radical qui soit : son propre suicide. Rien d’étonnant donc que William Friedkin ait choisi The Germs pour la bande son de son film polémique Cruising, dans lequel un policier devait s’infiltrer dans les clubs homosexuels sadomasochistes new-yorkais afin de démasquer un tueur en série.